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À portée de main

Nicolas Gilly

Exposition du 10 mai au 13 juillet 2018

Vernissage le vendredi 10 mai de 14h à 22h

Dans sa louable volonté d’élargir le concept de l’art, J. Beuys affirmait : « Tout homme peut dessiner tant qu’il a des mains. » Nicolas Gilly ajouterait sans doute, avec autant de générosité, que tout homme peut toujours trouver ce sur quoi dessiner tant qu’il a des mains. Ambidextre parce que pragmatique -ou parce qu’il n’aime pas être contrarié-, N.G. trace ses dessins au creux de la main, soit dans l’urgence de l’instant, soit dans le flottement de l’attente, soit encore pour tuer le temps et ces dessins obéissent à une logique scrupuleuse et exigeante de la signification minimale : ils signifient seulement que lorsqu’on n’a rien à faire, on peut toujours dessiner et que lorsqu’on n’a rien sous la main pour dessiner, on a toujours une autre main...


Pourtant traditionnellement, la main qui dessine est oubliée dans le dessin réalisé ou alors elle est elle-même le motif du dessin. Bref, elle est une image ou un spectre. D’ailleurs, la plupart des théoriciens de l’art -qui sont aussi souvent des adorateurs de la main-, ont tenté de ressusciter son fantôme : H. Focillon rêvant de la main d’Hokusai, voulait baptiser ses albums, Journal d’une main humaine. Or, ici, l’album est dans la paume et la main est le journal. La main paraît pour de bon, c’est-à-dire ni comme motif ni comme la cause efficiente du dessin, mais bien comme son support visible. La main apparaît comme le fond du dessin, une paroi de poche, vivante et toujours disponible, étoilée de ses doigts désœuvrés. Elle apparaît, elle se montre, immobile et bien réelle, au sens où J. Genêt parle de la « violence du dessin de la main unique », à propos de la main du manchot Stilitano, posée sur la table dans un inquiétant repos. La main que nous présente NG, si elle n’a rien d’inquiétant, n’est plus le fantôme qui a œuvré, mais l’œuvre elle-même.


Croquer le monde dans sa main suppose un geste précis, même s’il est souvent rapide, relevant du rythme d’exécution de la note, du pense-bête. Si voir les choses à portée de main, ce n’est pas porter le monde à bout de bras, c’est tout de même le ramener à la matrice de toute distance humaine : la paume. Avant de signifier ou de communiquer, la main compte et mesure. La paume -sur ces dessins photographiés- revient -docile à tous les motifs rencontrés aléatoirement- comme l’équivalent muet et visuel de l’anaphore dans les poèmes de Lisa Robertson. Là où l’auteure du poème Le Temps, nous fait éprouver la présence du temps (durée et saison) - « Les jours s’amoncellent sur nous »- par la répétition des mots « rebattus » -des « Quand », « Maintenant »- qui se dressent au début de chaque phrase, la main de N.G. nous avertit, silencieusement cette fois-ci, par ses apparitions répétées que « Tout autour se trouve la matrice des distances ». Matrice que l’une de ses mains attrape au gré des situations, pour la consigner dans l’autre.


Toutefois, se dessiner dans la main a d’abord quelque chose du geste désinvolte, minimal et brut par excellence. C’est un peu comme faire ce qu’on ne fait pas, ce qui ne se fait pas, comme l’enfant qui se dessine volontiers sur la peau d’un air libre et dégagé. Il y a une force et une jubilation dans le geste désinvolte qui s’applique à ne pas faire ce qu’on lui dit habituellement de faire. Car l’allégresse de la désinvolture a toujours à voir avec l’art de ne rien faire ou de ne faire presque rien. Dans son Apologie des oisifs, Stevenson fustige le modèle moderne de l’activité incessante et conclut son portrait dévastateur du suractif par ces lignes : « Peut-il s’étonner de son ressentiment, tandis qu’il s’échine désespérément à casser des cailloux sur la route, s’il voit dans les prairies, non loin, des personnes allongées au frais, un mouchoir sur les oreilles et un verre à portée de la main ? »


Mais cet art de ne rien faire n’est en un sens rien de plus que la définition de l’art même. Le plaisir d’exister ne serait rien sans celui d’ajouter au monde quelque chose dont il n’a nul besoin, un dessin dans la main par exemple. Ce qu’au demeurant ont parfaitement bien compris ces indépassables et mythiques situationnistes que sont les adeptes de la Banalyse -association dont les membres se retrouvent à des heures convenues dans des endroits banals sans aucun motif spécifique de se rencontrer ni rien de spécial à se dire- dont le fondateur déclarait : « La Banalyse ne veut en rien se distinguer de la vie en général, sauf justement, par la volonté de ses membres d’en avoir une conscience aiguë... » Au fond, l’important ici ne tient pas à ce qui est fait, mais à l’agir, au geste. Le dessin pris dans les lignes de la main de N.G. ne résistera pas longtemps aux multiples tâches auxquelles la main est très vite rendue. Le dessin tracé au creux de la main n’est pas fait pour durer, au contraire, il est un tueur de temps. L’homme dégagé n’est vraiment chez lui que dans l’éphémère et le non-intentionnel : là où l’agir compte plus que le faire, l’acte plus que l’objet, le tracer plus que le tracé, comme aurait pu dire Fernand Deligny...
 

Deligny, qui s’y connaissait en dessin, lignes et oisiveté, admirait avec raison la désinvolture avec laquelle l’artiste aborigène, après avoir réalisé avec un soin extrême la gravure d’une tortue sur une écorce, s’en détourne définitivement :
« De ce qu’il a fait, l’aborigène s’en détourne ; son projet n’est pas là ; il est dans les mouvements de la main qui réitère des trajets, qui passe et repasse là où la main doit passer ; et cette main n’est pas la sienne.
C’est une main quelqu’une dont il dispose comme il dispose du petit bâton mâché à un bout qui lui sert de pinceau »


C’est cette main que nous tend sournoisement N.G. en ce qu’il semble nous dire, comme dans la réplique culte de Terminator 2 : « Parle à ma main ! »

 


Charles Floren

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