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Richard Nonas, Tongue / mother – tongue, (détail), 2013

14 pièces murales de bûches de pin assemblées,

175 blocs d’épicéa, 70x15x12cm chacun

Tongue / mother-tongue

Richard Nonas

Exposition du 1er octobre au 23 novembre 2013

Vernissage le mardi 1er octobre de 16h à 21h

En collaboration avec l’Atelier Archipel, Arles

Tongue / mother-tongue

SCULPTURES SANS MOTS

(à propos d’expositions et de projets récents de Richard Nonas)

Parallèlement à son travail de sculpteur, et pour en ressaisir les significations essentielles, Richard Nonas a écrit nombre de textes et notes théoriques sur la sculpture, une certaine sculpture du moins, qu’il dit paradoxalement "sans mots" (wordless). Actif depuis le début des années 1970, l’artiste situe les fondements de son travail à la croisée du post-minimalisme et du Land Art, dont il s’est découvert proche sans s’autoriser pour autant d’arguments susceptibles d’asseoir une appartenance, "stylistique" ou autre. Du reste, durant la décennie précédente, Nonas n’était guère porté à se pencher sur la question de l’art et de ses enjeux : éloigné

durant des mois des centres culturels des grandes cités industrieuses, il travaillait comme anthropologue et ethnologue de terrain.

Et, comme d’usage en Amérique du Nord, ses missions l’ont conduit à la périphérie du continent : Attawapiskat, Ross River Post (respectivement dans l’Ontario et le Yukon, au Canada) ou bien Ali Chuk (à la frontière des États de Sonora, au Mexique, et d’Arizona, aux États-Unis). La distinction qu’on conçoit aisément entre la démarche de l’ethnologue et celle du sculpteur mérite d’être nuancée sur un point. Pour le dire simplement, les enquêtes que conduisait Nonas durant les années 1960 le portaient déjà à habiter des lieux, d’autres lieux, c’est-à-dire à interroger le sens que l’on peut conférer à l’événement si banal et si troublant d’être ici (1)."Transformé en artiste", comme il dit, c’est le même déterminant qui, quelques années plus tard, devait lui

permettre de reconnaître, dans la sculpture, « une chose qui s’éprouve comme un lieu » (a thing that feels like a place (2)).

En termes anthropologiques, pour être considérable, la différence des deux activités concerne avant tout les visées et outils discursifs mis en oeuvre. Nul hasard, donc, si Nonas revient fréquemment sur ce point qui fonde sa conception de la sculpture. Ainsi, il y a quelques années, dans le village abandonné de Vière où il procédait au tracé des Edge Stones – trois alignements de blocs sciés dans une pierre calcaire –, celui-ci confiait : "Je n’ai pas décidé d’être artiste. Je me suis retrouvé artiste, sans vouloir l’être, sans y penser. Je cherchais un moyen d’échapper aux limitations du langage. Le langage dont je disposais charriait avec lui toutes sortes de significations secondaires qui me faisaient l’effet d’un fracas étourdissant où se mêlaient des associations que je ne parvenais pas à contrôler. Je cherchais le moyen d’échapper à ces associations afin

de conserver de la clarté dans ce qui m’importait. Je voulais pouvoir créer un monde, un monde susceptible d’intégrer ce qui m’intéressait le plus. Mais pas un monde artificiel. J’ai alors compris que le problème tenait à la spécificité du langage lui-même. Et j’ai compris que des objets, des objets physiques pouvaient constituer une solution, qu’ils pouvaient m’aider à communiquer des émotions et des idées d’une manière directe et très différemment de tout ce que le langage permettait. Une manière sur laquelle je puisse avoir prise et qui soit moins destructrice, de sorte que puisse être préservée l’intégrité du projet qui m’intéressait (3)".

C’est pourquoi, si les lieux de la sculpture sont, chez Nonas, hantés par la question inlassablement reconduite de l’habiter, c’est qu’ils procèdent moins d’une emprise que d’un dessaisissement assumé comme tel. Il n’est pas exagéré d’affirmer que toute la production de l’artiste procède de cette expérience radicale. "Certaine sculpture est illustrative, discursive, d’inspiration littéraire ; celle-là ne m’intéresse guère, explique-

t-il. Mais certaine sculpture est nette, inflexible, sans mot ; presque impassible dans son intensité. Elle est là et rayonne. Elle ne raconte aucune histoire. Elle est. Elle prend deux fois plus d’espace qu’elle ne devrait. Certaine sculpture pèse deux fois son poids. Elle se développe avec deux fois sa puissance. Elle vole l’espace où elle se tient. Elle le remplit et le change ; elle le remplit d’elle-même, exactement, avec sa propre existence immédiate, avec sa propre histoire généralisée, avec son propre poids et sa propre attente". Plus loin, Nonas ajoute en termes très singuliers : "Certaine sculpture change le lieu dans lequel je me déplace. Elle rôde en cet espace, hume l’air, et chasse en lisière (4)".

Les oeuvres installées en septembre 2013 aux deux étages de la galerie de l’Atelier Archipel en Arles laissent reconnaître cette furtivité et marginalité spatiales qu’accusent la modestie des moyens mis en oeuvre et la forte horizontalité des configurations nées de l’arrangement au sol d’éléments en mélèze, soit une trentaine de blocs sciés aux mêmes dimensions (35 x 15 x 12 cm). Au rez-de-chaussée, décentré face à l’entrée, un alignement formé de huit éléments reprend l’orientation de la pièce. Au fond, sur le côté, utilisant quatre constituants, non plus espacés rythmiquement cette fois, mais placés bord à bord et comme ajointés, une croix en diagonale

vient dialoguer avec l’arrangement modulaire, troublant à distance sa scansion régulière. Sur les murs, on peut découvrir quelques unes des photographies réalisées par Bernard Plossu à Vière, au printemps 2011, quelques mois après l’achèvement des Edge-Stones.

La cave voûtée de la galerie accueille trois autres sculptures : un petit alignement associant trois modules ainsi que deux constructions, qui unissent respectivement quatre et cinq blocs superposés sur deux hauteurs, certains alignés, d’autres opposés deux à deux. Procédant d’un jeu de combinaisons moins élémentaire qu’il n’y semble à première vue, les cinq réalisations – utilisant deux fois douze blocs au total – engendrent toutes sortes d’analogies et de contrastes, d’enchaînements et de ruptures, d’espacements et de compacités, de symétries et d’écarts que l’architecture du lieu – une ancienne bâtisse à deux pas des quais du Rhône – vient souligner, ses murs épais et ses volumes affirmés ajoutant à la sorte de prégnance qui émane des oeuvres. La cave de la galerie présente également plusieurs études correspondant à des projets en cours – tel un alignement de blocs rocheux conçu pour la spina du cirque antique arlésien – ainsi que des assemblages muraux procédant de la rencontre de deux ou trois constituants géométrisés.

Toutes proportions gardées, la spatialité densifiée des arrangements au sol présentés par l’Atelier Archipel peut rappeler Fog, une oeuvre pérenne de grandes dimensions, installée en juin 2010 dans le domaine du Château d’Avignon, en Camargue. Fog consiste en un double alignement en croix, reprenant le tracé de deux chemins qui traversent un bosquet obscur, à l’arrière de la grande demeure.

Sensiblement différente de l’exposition arlésienne, celle, présentée à Marseille en octobre 2013 dans le vaste espace de l’association Vidéochroniques, consiste en une seule sculpture-installation. Celle-ci procède de la mise en espace de cent-soixante-quinze modules équidistants, tous formés de deux éléments identiques (70 x 15 x 12cm), en bois d’épicéa. Chaque paire offre la même configuration et orientation dans l’espace : un bloc est posé parallèlement au seuil et aux marches conduisant dans la grande salle dédoublée ; l’autre, incliné, est posé perpendiculairement, en appui au sol et sur un côté du bloc précédent, de sorte qu’il matérialise la direction du spectateur pénétrant dans le lieu. Au jeu complexe associant et opposant les oeuvres exposées en

Arles, l’installation de Marseille substitue un principe spatial résolument unitaire. Elle témoigne en cela d’une attitude de pensée typiquement américaine, dont on trouve déjà trace, en art, chez Pollock, Newman, puis chez les minimalistes et post-minimalistes. Reposant sur un sentiment puissant d’entièreté (wholeness), et visant à le restituer plastiquement, cette attitude sollicite une expérience holistique de l’oeuvre. Cette dernière n’engendre pas moins un complexe de relations à la fois situées et changeantes, les modules révélant au visiteur sa propre position, soulignant les effets de son déplacement pour donner corps à une situation perceptuelle fondée sur la réciprocité. Entre l’emprise d’un balisage implacable et la mobilité intense dont celui-ci crée les conditions d’expérience, cette dernière réalisation porte à faire retour sur l’équivocité qui affecte la spatialité topologique des sculptures de Nonas. Du reste, on ne saurait vraiment dire si, dans les espaces de Vidéochroniques, l’installation est indifférente au lieu qu’elle "vole" ou bien si elle rend comme palpables sa superficie

et volumétrie spécifiques. Une telle duplicité n’a pas échappé à Richard Nonas qui, dans l’un de ses textes, remarque que "chaque site et situation donnés, dans lesquels [il] songe à placer de la sculpture, sont déjà définis par son absence même (5)". Si bien que celui qui souhaite éprouver et dire la présence-absence de sculptures sans mots rencontre bientôt une question inentamée. Inentamée, mais digne d’être partagée.

Fabien Faure

(1) "Le lieu, c’est l’ici", écrit Pierre Nakimovitch (dans "La thématique du lieu dans la pensée de Dôgen", Logique du lieu et dépassement de la modernité, Augustin Berque (sld), vol. I, Bruxelles, Ousia, 2000, p. 198).

(2) Richard Nonas, Get Out, Stay Away, Come Back – À propos de sculpture et de la sculpture en oeuvre / Writings About Sculpture and Making Sculpture, franç/angl., trad. française par Mathilde Bellaigue, Les Presses du réel, "La Vie des formes", Dijon Chalon-sur-Saône,1995, p. 13.

(3) Conversation de Richard Nonas avec Nadine Gomez et l’auteur, à Vière, le 5 novembre 2010. Propos cités dans "L’ arête vive du lieu", in Richard Nonas, Bernard Plossu, The Raw Edge – Vière et les moyennes montagnes, Digne-les-Bains, musée Gassendi ; Crisnée, Yellow Now, 2011, p. 40-41. Inhabité depuis 1934, le village de Vière est perché à 1 200 mètres d’altitude, aux confins de la vallée de la Haute-Bléone, dans les montagnes de Haute- Provence.

(4) Richard Nonas, op. cit., p. 14.

(5) Id., p. 16.

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Édouard Monnet

Commisariat

Alain Domagala

Régie, logistique

Elsa Roussel

Communication, administration

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Richard Nonas
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